La scène se déroule entre 1933 et 1940 en plein cœur du village de Mascouche, au coin des rues Dupras et Sainte-Marie. C’est ici même qu’Ovila Patenaude tenait boucherie dans ce bâtiment appartenant à sa mère, Philomène Beauchamp. Cette dame était aussi la mère de Wilfrid A.-Bohémier qui a été gérant de la Caisse populaire de Mascouche durant de nombreuses années, secrétaire-trésorier de la municipalité ainsi que maire de Mascouche de 1962 à 1965.
Sur la murale, on aperçoit Almanzor Allard, charretier, chauffeur de taxi et livreur de malle de Mascouche, saluant de sa casquette les villageois passant par là. Parmi eux se trouve Gérard Mathieu, médecin de Mascouche de 1919 à 1951 et coroner du comté de l’Assomption; le curé Félix Poirier responsable de la paroisse de Mascouche de 1931 à 1937; Uldaric Corbeil, voisin arrière de la boucherie, qui a été élu plusieurs fois conseiller municipal, maire de Mascouche en plus d’avoir été propriétaire, avec son frère Calixte, du domaine seigneurial de Mascouche durant 50 ans jusqu’à sa vente en 1930; enfin, on reconnait Sœur Pierre-l’Ermite, entièrement dévouée aux tâches d’économe du couvent des Sœurs de la Providence de Mascouche de 1923 à 1947 et des travaux de la ferme que les religieuses possédaient au sortir du village.
En 1940, Wilfrid A. Bohémier, le demi-frère d’Ovila Patenaude notre boucher, tenait déjà une épicerie de l’autre côté du pont, face à l’église. Il a dû racheté la boucherie d’Ovila et sa résidence pour venir en aide à sa mère Philomène Beauchamp qui éprouvait alors de sérieuses difficultés financières. La famille a quitté Mascouche et Ovila est parti travailler à la Canada Packers de Montréal jusqu’à son décès en 1973.
En 1943, M. Bohémier a été nommé gérant de la nouvelle Caisse populaire de Mascouche laquelle a été déménagé à même son logement attenant à l’étal de boucher.
En 1946, le commerce et la résidence sont vendus à Arthur Janson, qui en exploite à son tour la boucherie. C’est lui qui aurait construit l’édifice actuel, peu après l’incendie de 1951. En 1954, Marcel Duval l’a acquis et va l’exploiter sous la bannière des marchés d’alimentation Richelieu. Vingt ans plus tard, en 1974, la forte croissance de l’entreprise nécessite un local moderne et plus grand; le marché a alors déménagé sur le chemin Saint-Henri.
Par un curieux hasard, le site de l’ancienne boucherie Patenaude a alors été racheté par Roland Chaput, un des petits-fils de Philomène Beauchamp, afin d’y exploiter un dépanneur, la Tabagie Roland. Loué et revendu à plusieurs reprises sous ce nom, le restaurant Pizza Maximum s’y est installé depuis la fin des années 1990 jusqu’à aujourd’hui.
On aperçoit ici la boucherie Ovila Patenaude au milieu des années 1930. Elle était située au coin des rues Sainte-Marie et Dupras; la rue Dupras s’appelait initialement rue Nouvelle au milieu des années 1910, parce qu’il y avait belle lurette qu’on n’avait pas eu une nouvelle rue à Mascouche !
Photo: Collection Ville de Mascouche / Fonds Huguette Lévesque-Lamoureux
Ovila Patenaude
Au fond de la murale, Ovila va bientôt ouvrir la lourde porte de la glacière pour rapporter sur son épaule un énorme quartier de bœuf qu’il va lancer pesamment sur l’étal du boucher. Après avoir affuté ses couteaux, il va habilement désosser la pièce de viande pour en ressortir un rôti ou encore d’appétissantes tranches de steak, qu’il va déposer sur un papier ciré et envelopper de deux épaisseurs de l’Action populaire de Joliette de la semaine passée. La viande sera ainsi prête à être livrée avec le reste de la commande téléphonique. Eh oui! Vous pouviez le rejoindre en demandant le 46 à la réceptionniste, une des filles d’Herménégilde Locas, le propriétaire de la Compagnie de téléphone de Saint-Henri-de-Mascouche.
Photo: Collection Ronald et Simone Boivin
Philomène Beauchamp
La mère d’Ovila Patenaude, Philomène Beauchamp, qu’on aperçoit à la fenêtre de la résidence, s’était mariée trois fois et était devenue consécutivement madame Bohémier, Patenaude et Lortie. Elle demeurait sur le chemin Saint-Henri, un peu avant le chemin Saint-Pierre. À l’automne 1932, elle a acheté cette propriété d’Oscar Dupras, un ancien maire et président de la commission scolaire de Mascouche, celui-là même qui avait ouvert la rue Nouvelle. L’ancienne boutique de forge située à l’arrière de la résidence est alors réaménagée pour permettre à son jeune fils Ovila, issu du deuxième lit et âgé d’à peine 21 ans, d’exercer son métier de boucher de 1933 à 1940.
Photo: Collection Simone Boivin-Patenaude
Dr Gérard Mathieu
À l’extrême gauche, le docteur Gérard Mathieu, aujourd’hui reconnu comme le dernier médecin de campagne de Mascouche, s’y était installé pour remplacer les deux docteurs Lamarche qui avaient quitté la paroisse peu de temps après la fin de la Première Guerre mondiale. Issu d’une famille de douze enfants de Lachenaie, ce n’est qu’à l’âge de 15 ans, qu’il a poursuivi ses études au Collège de L’Assomption pour éventuellement obtenir son diplôme à la faculté de médecine de l’Université de Montréal. Comme il l’a écrit: « J’étais le sixième et les autres étaient partis avant moi; j’suis resté pour aider mon père qui avait une grosse besogne, car il possédait une grande ferme avec huit chevaux et vingt à vingt-cinq vaches laitières. » Également coroner du comté de l’Assomption, il pratiquait ses autopsies au rez-de-chaussée de la salle paroissiale de la rue Dupras. Très impliqué dans la vie communautaire de Mascouche, il était aussi un des principaux organisateurs des soirées de loisirs qui avaient lieu à l’étage. Depuis 1934, il demeurait tout près d’ici, la maison qu’on voit de biais en face du presbytère. Ce matin de juillet 1936, il s’enquiert de l’état de santé de deux de ses illustres patients.
Photo: Collection Luce Duval
Uldaric Corbeil
Le digne vieillard à la droite du Dr Mathieu est nul autre qu’Uldaric Corbeil. Sous les bons soins du Dr Mathieu, malgré ses 83 ans bien sonnés, sa santé resplendissante va lui permettre de vivre au-delà de 90 ans!
Cet industriel a été propriétaire avec son frère Calixte du Domaine seigneurial de Mascouche durant 50 ans, où il exploitait les moulins à farine, à carder et à scie, alors que son frère cultivait. Également maire de Mascouche au début du 20e siècle, cet ami du clergé a dénoncé avec vigueur le fléau de l’alcoolisme en refusant , entre autres, les permis de boissons aux hôteliers de la paroisse. Il est retraité depuis 1931 après avoir vendu le Domaine à une millionnaire, madame Hazel Beatrice Colville, le tout à un fort prix; imaginez, 83 000 piastres! Ce qui équivaut aujourd’hui à près de 5 millions de dollars.
Ce digne représentant de la bourgeoisie mascouchoise demeure juste derrière la boucherie d’Ovila Patenaude: le « château », cette magnifique demeure victorienne d’inspiration néo-gothique de onze appartements, construite en 1920 pour Alphonse Soucisse, un commerçant de beurre de Montréal, originaire de Mascouche. M. Corbeil l’avait acquise en 1928, pour la revendre un mois plus tard au docteur Mathieu.
Photo: Collection Victoire Charbonneau-Lapierre
Félix Poirier
Mais le médecin était plutôt inquiet de la santé fragile de l’abbé Félix Poirier, curé de la paroisse de 1931 à 1937, et qui se tient à la droite d’Uldaric Corbeil. Malgré les nombreuses visites de ce dernier au bureau du médecin qui, cigare au bec, recevait ses patients, l’été suivant, le prêtre a été admis à l’Hôpital de Joliette où il est décédé à l’automne alors qu’il n’avait pas encore soixante ans. Très attaché à ses fidèles paroissiens, le curé Félix Poirier a été inhumé au nouveau cimetière de Saint-Henri de Mascouche sur l’ancien chemin de La Pachane, aujourd’hui la rue Dugas.
Photo: Comité du 250e de Mascouche
Sœur Pierre L’Ermite
Quelque peu en retrait des trois hommes, comme il se doit, pour ne pas déranger en s’immisçant dans leurs conversations, la révérende mère Pierre-l’Ermite s’est consacrée à Dieu en 1915. Entièrement dévouée, elle exerce ses multiples talents au couvent des Sœurs de la Providence de Mascouche depuis 1923, où les six premières années, elle a enseigné aux jeunes filles, tout en cumulant les postes de directrice de l’externat, d’hospitalière auprès des vieillards et d’économe.
Née Cléoda Lalonde, elle est issue d’une famille de cultivateurs de Coteau-du-Lac. Depuis 7 ans, elle met à profit son savoir-faire et son amour du terroir uniquement à ses devoirs d’économe et aux exigences de fermière et jardinière, sur la terre que les religieuses possèdent le long du chemin Sainte-Marie, non loin de la gare du village. À l’été 1935, elle n’a pas ménagé ses fatigues et ses pas, pour bien représenter la ferme à l’exposition agricole de l’Assomption, où elle a reçu 12 prix, dont 7 premiers prix dans diverses catégories touchant la qualité du troupeau, des céréales, des légumes variés, du beurre et des travaux manuels de fantaisie.
Enthousiaste, Sœur Pierre-L’Ermite raconte que le mois passé, grâce à la générosité de Wilfrid Allard, un vieux qui pensionne au couvent, elle a pu remplacer un de leurs chevaux malade par Black, un vigoureux cheval de trait, acheté 175 piastres chez Roland Turenne. Par ailleurs, élevant elles-mêmes leur bétail (veaux, vaches, cochons, etc.), les bonnes sœurs ont sans doute eu comme souci de partager équitablement entre les deux bouchers du village, la saignée des bêtes et leur dépeçage, bien qu’une des filles d’Henri Aubin, l’autre boucher du village, soit une de leur consœur de religion. Après son départ de Mascouche en 1947, Sœur Pierre-l’Ermite a poursuivi sa vocation dans la région de Joliette.
Photo: Archives Providence Montréal
Almanzor Allard
Finalement à l’extrême gauche, saluant avec sa casquette, on aperçoit le sympathique Almanzor Allard. À cette époque, il demeurait dans la première maison de la petite rue à côté du magasin général de Donat Patenaude, aujourd’hui la rue Duval. Après avoir fait des études classiques au collège L’Assomption à la fin des années 1890, et cultivé durant quelques années la terre familiale, ce féru de matériel roulant de toutes sortes, a été dans un premier temps agent local de machines agricoles à Mascouche dans les années 1920.
Mais c’est surtout comme charretier et chauffeur de taxi qu’on le connait. Durant de nombreuses années, que ce soit avec son boggie, en sleigh, ou encore en automobile de luxe, il récupère la malle pour le bureau de poste et fait du taxi tout en livrant le courrier rural, de maison en maison. Nul besoin de vous convaincre que sa bonhomie opulente a dû en faire un client assidu de la boucherie!
Photo: Ville de Mascouche / Fonds Huguette Lévesque-Lamoureux
Principales sources
– Archives Providence de Montréal,
– Chroniques M18.37 Providence Saint-Henri, Mascouche 1853-1989 – Dossier personnel sœur décédée #2223, Sœur Pierre-L’Ermite (Lalonde)
– Coutu, Jean-Claude :
– Compilation des nouvelles de Mascouche, L’Action populaire de Joliette 1913-1970
– Les trois compères de Mascouche : le médecin, le banquier et le boucher, messieurs Gérard Mathieu, Victor Pauzé et
Henri Aubin, conférence du 26 septembre 2010, SODAM-Patrimoine, 39 pages, (non publiée)
– Numérisation et compilation, Livre des délibérations du Conseil municipal de Mascouche, 1906-1979
– Numérisation et compilation, Livre des minutes de la Commission scolaire Saint-Henri-de-Mascouche, 1916-1929
– Crépeau, L.A.F., Mascouche en 1910, sans lieu, sans éditeur, 1910?, 313 pages et supplément de 62 pages
– Didier, René, Les anciens et les anciennes du Collège de l’Assomption, 1833-1955, 100 fascicules,
L’Association des anciens et des anciennes du Collège de l’Assomption, 2014-2015
– Gravel, Denis, Histoire de Saint-Henri-de-Mascouche (1750-200), Société de recherche historique Archiv-Histo inc., ISBN 2-920480-62-6, 1e trimestre 2000, 500 pages
– Institut généalogique Drouin, Registres paroissiaux et actes d’état civil 1621-1967